ZLECAf : libre-échange africain, une ambition plus symbolique que pratique ?

ZLECAf : libre-échange africain, une ambition plus symbolique que pratique ?
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La mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lancée officiellement en janvier 2021, rencontre de nombreux obstacles qui expliquent pourquoi les pays africains peinent à la concrétiser pleinement, malgré son ambition de créer un marché unique de 1,3 milliard de personnes et de stimuler le commerce intra-africain. Ces défis sont à la fois structurels, politiques, économiques et logistiques.

Faiblesse des infrastructures

Un des principaux freins est le sous-développement des infrastructures de transport et de logistique. Les réseaux routiers, ferroviaires et portuaires sont souvent inadéquats ou mal entretenus, rendant le commerce transfrontalier coûteux et lent. Par exemple, transporter des marchandises d’Abidjan à Lagos, deux grandes villes ouest-africaines distantes de moins de 1 000 km, peut prendre des jours en raison des mauvaises routes et des contrôles aux frontières.

Sans investissements massifs dans ces infrastructures, la réduction des droits de douane prévue par la ZLECAf ne suffit pas à fluidifier les échanges. Même si la CEDEAO et l’UEMOA dans leurs plans, travaillent à la mise en œuvre d’infrastructures routières de qualité, le travail reste bien loin du compte.

Hétérogénéité économique et dépendance aux exportations hors continent

Les économies africaines sont très disparates : des géants comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud coexistent avec des pays à faible PIB comme le Tchad ou la Guinée-Bissau. Beaucoup de ces économies sont orientées vers l’exportation de matières premières (pétrole, minerais, cacao) vers des marchés extérieurs – Europe, Chine, Inde – plutôt que vers le commerce intra-africain, qui ne représente qu’environ 15 % des échanges totaux du continent (contre 60 % en Europe).

Cette dépendance historique limite l’intérêt immédiat de certains pays à investir dans la ZLECAf, surtout si leurs principaux partenaires commerciaux restent hors d’Afrique.

Barrières non tarifaires et bureaucratie

Même avec la suppression progressive des droits de douane (prévue sur 90 % des biens sur 5 à 10 ans), les barrières non tarifaires – normes sanitaires, réglementations divergentes, corruption aux frontières – persistent. Par exemple, les certificats d’origine ou les normes de qualité varient d’un pays à l’autre, compliquant l’harmonisation. De plus, les postes frontaliers sont souvent des points de blocage où les pots-de-vin et les lenteurs administratives augmentent les coûts, décourageant les petits commerçants qui dominent le commerce informel africain.

Manque de capacité industrielle

La ZLECAf vise à encourager la production et l’échange de biens transformés, mais beaucoup de pays africains manquent d’industries compétitives. La plupart exportent des matières brutes et importent des produits finis, souvent d’Asie ou d’Europe. Sans diversification économique ni montée en gamme, les bénéfices de la zone de libre-échange risquent de profiter surtout aux quelques pays déjà industrialisés, comme l’Afrique du Sud ou le Maroc, creusant les inégalités et suscitant des réticences chez les nations moins avancées.

Volonté politique et priorités nationales

La mise en œuvre exige une coordination entre 54 pays (l’Érythrée n’a pas signé), chacun avec ses propres intérêts. Certains gouvernements craignent que la libéralisation des échanges nuise à leurs industries naissantes ou réduise les recettes douanières, une source de revenus clé pour des États aux budgets fragiles. Par exemple, le Nigeria, géant économique, a hésité avant de ratifier l’accord en 2019, invoquant la protection de son marché intérieur face à une possible inondation de produits étrangers.

De plus, les crises internes – conflits, instabilité politique, ou urgences comme Ebola ou le Covid-19 – détournent souvent l’attention et les ressources des États.

Financement et expertise limités

La ZLECAf nécessite des fonds pour harmoniser les politiques, former les douaniers, ou sensibiliser les entreprises aux opportunités. Or, les budgets nationaux sont souvent contraints, et l’aide internationale, bien que présente (via l’Union africaine ou la Banque africaine de développement), reste insuffisante face à l’ampleur du projet. Le secteur privé, qui devrait être un moteur, manque aussi parfois de capacités pour exploiter les nouveaux marchés, notamment les PME qui dominent l’économie africaine.

Commerce informel et données lacunaires

Une grande partie du commerce intra-africain est informelle (par exemple, via les marchés transfrontaliers entre le Kenya et l’Ouganda). Ce secteur échappe aux statistiques officielles et aux régulations de la ZLECAf, rendant difficile l’évaluation des progrès ou l’application des règles. Sans une formalisation progressive, une part importante des échanges reste hors du cadre de la zone.

Perspectives

Malgré ces obstacles, des avancées existent : en 2025, plusieurs pays ont commencé à échanger sous le régime de la ZLECAf (comme le Ghana et le Kenya pour certains produits), et des initiatives comme le guichet unique douanier ou les corridors commerciaux régionaux montrent des progrès. Cependant, pour que la ZLECAf atteigne son objectif d’augmenter le commerce intra-africain de 52 % d’ici 2030, il faudra surmonter ces défis par des investissements ciblés, une harmonisation réglementaire et une volonté politique soutenue. Sans cela, elle risque de rester une ambition plus symbolique que pratique.

admin

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