Gabon: l’élection de Nguema ne garantit pas un changement radical du système Bongo

Gabon: l’élection de Nguema ne garantit pas un changement radical du système Bongo
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L’élection de Brice Oligui Nguema à la présidence du Gabon, avec plus de 90 % des voix le 12 avril 2025, soulève une question cruciale : s’agit-il d’une véritable rupture avec le système de gouvernance instauré par la dynastie Bongo, qui a dominé le pays pendant 56 ans, ou d’une simple continuité sous un nouveau visage ?

Le coup d’État de 2023, mené par Oligui Nguema, a mis fin au règne d’Ali Bongo et de sa famille, perçu comme corrompu et inefficace par une large partie de la population. Cette rupture a été accueillie avec soulagement, voire jubilation, par beaucoup de Gabonais, lassés des scandales de corruption et de l’enrichissement d’une élite restreinte. Oligui Nguema a capitalisé sur ce sentiment en promettant de « libérer » le Gabon des maux du passé.

Une nouvelle constitution, adoptée par référendum en novembre 2024 avec 91,64 % d’approbation, introduit des changements significatifs, notamment un mandat présidentiel de sept ans renouvelable une fois, une interdiction des dynasties politiques, et des dispositions visant à promouvoir la transparence et la gouvernance inclusive. Le code électoral a également été révisé, bien que critiqué pour favoriser la candidature d’Oligui Nguema.

Pendant la transition, Oligui Nguema a pris des mesures populaires, comme la libération de prisonniers politiques, la mise en place d’un programme de prêts pour les jeunes entrepreneurs (ex. : « Taxi Gab+ »), et l’intégration d’anciens opposants et de figures de la société civile dans les institutions transitoires. Il a évité les répressions brutales observées dans d’autres pays sous régime militaire, comme au Mali ou au Burkina Faso, ce qui lui a valu un soutien populaire.

Oligui Nguema s’est positionné comme un réformateur, relançant l’opération « Mamba » contre la corruption et poursuivant des figures de l’ancien régime, notamment Sylvia et Nourredin Bongo, toujours en détention pour des accusations de corruption. Cette posture contraste avec la kleptocratie associée aux Bongo.

Contrairement à d’autres juntes africaines qui ont prolongé leur pouvoir, Oligui Nguema a organisé une élection présidentielle dans un délai relativement court (19 mois après le coup). Cette démarche, saluée par des observateurs internationaux, tranche avec la stagnation observée ailleurs.

Problème lié à la proximité avec les Bongo?

Oligui Nguema, cousin d’Ali Bongo, a gravi les échelons sous Omar et Ali Bongo, occupant des postes clés comme aide de camp d’Omar et chef de la Garde républicaine. Son entourage inclut des figures de l’ancien Parti démocratique gabonais (PDG), qui dominait sous les Bongo. Des analystes, comme Bergès Mietté, notent que l’élite au pouvoir reste largement issue de l’ancien système, suggérant une absence de renouvellement profond.

Les critiques, y compris l’opposant Alain Claude Bilie-By-Nze, dénoncent une élection verrouillée. La nouvelle constitution et le code électoral ont permis à Oligui Nguema de se présenter, contrairement aux pratiques habituelles interdisant aux leaders de transition de concourir. Son omniprésence médiatique, ses ressources étatiques, et la disqualification de certains opposants ont assuré une victoire écrasante, rappelant les élections controversées sous Ali Bongo (ex. : 64 % en 2023, jugé non crédible).

Oligui Nguema semble s’appuyer sur le PDG et adopter des tactiques de son mentor, Omar Bongo, comme le clientélisme et la cooptation des élites. Sa campagne a misé sur des promesses économiques et des gestes populistes, une approche classique pour consolider le pouvoir au Gabon.

Malgré une croissance économique de 2,9 % en 2024, le Gabon reste marqué par une forte dépendance au pétrole, une inégalité criante (35 % de la population sous le seuil de pauvreté), et un chômage des jeunes élevé (40 %). Les promesses de diversification économique (agriculture, tourisme) étaient déjà au cœur des discours des Bongo, sans résultats probants. La capacité d’Oligui Nguema à transformer ces réalités reste incertaine.

Certains observateurs, comme Joseph Siegle du Africa Center for Strategic Studies, estiment que le processus électoral n’était pas équitable, avec un terrain biaisé en faveur d’Oligui Nguema. La Transition Charter, bien qu’ambitieuse, reste vague sur des points clés, comme la durée exacte de la transition ou les mécanismes de contrôle du pouvoir, ce qui pourrait permettre une consolidation autoritaire.

Changement ou continuité ?

Oligui Nguema représente à la fois une rupture symbolique et une potentielle continuité structurelle. D’un côté, il a su canaliser le mécontentement populaire contre les Bongo, mettant fin à leur emprise directe et introduisant des réformes qui, sur le papier, promeuvent une gouvernance plus démocratique et inclusive. Son élection, bien que contestée pour son manque d’équité, marque un retour à un cadre constitutionnel, une démarche rare dans les contextes post-coup en Afrique.

D’un autre côté, les similitudes avec le système Bongo sont frappantes : une élite recyclée, un contrôle étroit du processus politique, et une dépendance aux mêmes dynamiques clientélistes. La victoire à 90,35 % évoque les scores écrasants d’Ali Bongo, renforçant les soupçons d’une démocratie de façade. De plus, sa proximité familiale et professionnelle avec les Bongo soulève des doutes sur une réelle volonté de démanteler les réseaux qui ont soutenu l’ancien régime.

L’élection d’Oligui Nguema ne garantit ni un changement radical ni une continuité absolue du système Bongo. Elle semble plutôt inaugurer une transition hybride : un changement de personne avec des réformes prometteuses, mais ancré dans les pratiques et les élites de l’ancien régime. La véritable évolution dépendra de sa capacité à mettre en œuvre des réformes économiques et sociales tangibles, à diversifier l’économie, et à permettre une opposition crédible à l’avenir. Pour l’instant, le Gabon reste à un carrefour, avec un potentiel de changement freiné par les inerties du passé.

admin

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