Bénin – Burkina Faso : le sacrifice des espaces protégés au profit des ressources minières
L’impact du changement climatique sur le continent africain est légion, mais cela risque de s’empirer avec le besoin de développement des pays. L’exploitation des ressources minières pour créer de la richesse et financer le développement est l’un des facteurs aggravant. Certaines ressources minières identifiées se retrouvant au sein et à proximité des aires protégées, leur destruction du fait de l’exploitation constitue une menace pour le climat. Au Bénin, des craintes subsistent, pendant qu’au Burkina Faso les dégâts sont déjà là. Notre enquête dans le cadre du projet mondial OCRI (Open Climate Reporting Initiative), révèle les risques liés à l’exploitation minière au sein et à proximité des aires protégées sur le climat.
En 2013, le Bénin a répertorié les ressources minières dont dispose son sol. La liste est importante. Selon le ministère béninois des Mines, le pays a initié et financé entre 2013-2014 des travaux de couverture géophysique aéroportée de tout le territoire. Ces travaux ont permis de mettre en évidence plusieurs zones d’anomalies qui serviront de cibles pour les futures prospections géologique et minière. Ces travaux ont également permis d’apprécier la susceptibilité magnétique et radiométrique des formations et structures géologiques et de la gradio-gravimétrie du bassin sédimentaire côtier. Les résultats issus de ces travaux ont permis de mettre à la disposition du pays des données et informations géologiques fiables.
A la suite donc de cette étude, et bien d’autres encore, réalisées dans le même sens, il a été avéré que le pays dispose de plusieurs gisements de ressources minières et minérales. La plupart de ces ressources identifiées sont des gisements d’or, de phosphate, d’Uranium, d’Etain, de pierres ornementales et de matériaux de construction. Le pays entend exploiter ces ressources et, dans la foulée, a ouvert les vannes pour que les investisseurs du monde entier se manifestent pour ce potentiel minier presque vierge, car ne connaissant que quelques exploitations artisanales ou semi-industrielles pas très avancées. Dès lors, les choses commencent à se compliquer pour l’environnement et surtout pour le climat. Certains gisements répertoriés empiètent sur des espaces considérés comme des aires protégées abritant des forêts classées et autres formes de biodiversité.
Exploitation de mines dans la réserve classée du Sahel au Burkina Faso
Contrairement au Bénin, le Burkina Faso a une longue expérience d’exploitation de ressources minières. La région du Sahel, au nord du pays, abritait trois (03) mines industrielles : la mine d’Inata, de Tambao et de Essakane. Si les mines de Inata et de Tambao sont fermées, celle de Essakane est toujours en activité. Ces trois mines ont un point commun. Elles sont toutes illégales au regard du décret portant classement de la réserve sylvo-pastorale et partielle de faune du Sahel, adopté le 9 novembre 1970, par le Conseil des ministres de la République de Haute Volta.
La réserve sylvo-pastorale et partielle de faune du Sahel est bien particulière en ce sens qu’elle englobe des villes comme Dori, Djibo, Gorom-Gorom, Sebba. La zone a une longue tradition dans l’orpaillage. En effet, Le gite aurifère d’Essakane a été découvert en 1985 par des paysans. Devant l’ampleur de la ruée vers l’or et la richesse apparente du site, le gouvernement avait créé « le projet Orpaillage » chargé d’encadrer les exploitants artisanaux. En 1999, le gouvernement crée avec la Société d’ingénierie et de réalisations à l’exportation (SIREX), la compagnie d’exploitation de mine d’or au Burkina (CEMOB), pour lancer l’exploitation semi-mécanisée en plus de l’orpaillage artisanal déjà pratiqué.
Mais malgré ces différentes manœuvres, l’exploitation industrielle, tout comme l’orpaillage artisanal, est une activité non conforme à son statut. L’Union internationale pour la conservation de la nature (l’UICN) avait déjà tiré la sonnette d’alarme dans une étude publiée en 2009.
Selon le Directeur général de l’Office national des aires protégées (OFINAP), Benoit Doamba, lorsqu’une forêt est classée il y a des droits d’usage mais l’exploitation minière ne saurait en être une. « S’il faut déclasser quelques hectares et faire une enclave pour exploiter les ressources minières et sauver les aires protégées, cela est possible, mais en toute responsabilité et connaissance de cause. La manière dont les choses se passent dans le Sahel constitue un précédent grave, une jurisprudence grave », poursuit le Directeur de l’office.
Les permis d’exploitation délivrée à l’intérieur de la réserve du Sahel violent l’article 120 du Code minier de 2015 qui stipule que « les activités de prospection, de recherche ou d’exploitation de substances minérales ne peuvent être entreprises en surface, en profondeur et aux alentours d’une zone de protection, (…) ».
Une biodiversité importante pour l’Afrique de l’Ouest
Estimée à 1 822 600 ha, selon les dernières évaluations effectuées par le ministère de l’Environnement de l’énergie de l’eau et de l’assainissement, la réserve du Sahel est une zone importante pour la biodiversité ouest-africaine. Elle abrite 3 sites RAMSAR (un site RAMSAR est la désignation d’une « zone humide d’importance internationale » qui enregistre la présence d’espèces vulnérables). Il s’agit des mares d’Oursi, de Yomboli et de Darkoye qui sont des refuges pour les oiseaux migrateurs. Elles abritent aussi des espèces intégralement protégées comme le vautour charognard et le vautour à tête blanche.
Le Directeur de l’OFINAP évoque aussi la présence de mammifères comme les gazelles, certaines espèces d’hyènes, notamment l’hyène tachetée, les chacals et d’autres espèces de carnivores, sans compter les éléphants du Gourma qui reviennent du Mali au début de chaque hivernage pour profiter des pâturages de la zone. Située à l’extrême Nord du Burkina Faso, la réserve a un climat aride, très chaud avec une pluviométrie la plus faible du pays, d’où sa fragilité.
« C’est une vaste zone, mais elle est fragile du fait du problème d’eau. C’est vrai que la tendance est de faire des forages pour améliorer les conditions de vie des populations, mais c’est nécessaire que l’on trouve des moyens pour préserver la biodiversité », soutient Benoit Doamba. « Il est important de conserver la biodiversité, car c’est la base même de la vie ». Au niveau international, l’UICN classe la réserve sylvo pastorale et partielle de faune du sahel parmi les grandes aires protégées d’Afrique de l’Ouest situées dans des zones arides.
Importance des airs protégés pour le climat
Selon une étude de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), The Nature Conservancy, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque mondiale, et le WWF, les aires protégées offrent une solution rentable pour lutter contre les effets des changements climatiques. L’étude soutient que les aires protégées stockent 15 pour cent du stock mondial de carbone terrestre, soit 312 Gigatonnes.
Aussi, ces espaces « servent aussi de protection naturelle contre les impacts du climat et autres catastrophes naturelles, en fournissant de l’espace pour disperser les eaux de pluie, stabiliser les sols pour éviter les glissements de terrain et stopper les ondes de tempête. Enfin, les aires protégées aident à maintenir les ressources naturelles saines et productives, afin qu’elles puissent résister aux impacts des changements climatiques ».
Évoquant la grande importance des aires protégées de toutes sortes pour le climat, le Directeur général de l’environnement et du climat au Bénin, le Professeur Martin Pépin Aïna, « les aires protégées en réalité sont des pièges naturels à carbone qui permettent de réguler l’équilibre au niveau des émissions de gaz à effet de serre ; elles sont comme un stock de carbone ». L’expert poursuit son explication et ajoute que « l’autre importance des aires protégées est qu’elles permettent de protéger la biodiversité. Et quand il y a cet équilibre, cela crée un microclimat et on parle plus, dans ce cas, de territorialisation (…) Il faut aussi évoquer tous les services éco systémiques que procurent ces espaces à la population ».
Il va sans dire que la destruction de ces joyaux naturels constituerait un énorme danger pour le climat. L’exploitation minière prend souvent le dessus sur la préservation des aires protégées du fait que les Etats estiment plus rentable en matière de coût économique, les ressources minières, par conséquent, les espaces naturels censés être protégés, sont déclassés et détruits.
« Les écosystèmes marins et côtiers, tels que les mangroves, les zones humides et les herbiers marins , qui jouent un rôle important dans l’absorption de CO2, la protection côtière pour faire face à l’élévation du niveau de la mer et soutiennent des activités économiques telles que la pêche et le tourisme, sont en train de disparaître à un taux alarmant et l’étendue des aires marines protégées représente moins de 1 pour cent de la surface des océans », affirme Imèn Meliane, Conseillère principale pour les politiques marines de The Nature Conservancy, citée dans le rapport d’étude.
Selon le Professeur Pépin Aïna, il serait désastreux pour le climat, de détruire les aires protégées. « La destruction de ces aires protégées constitue une grosse menace pour le climat parce qu’il n’y aura déjà plus de piège à carbone et donc plus de régularisation des émissions de gaz à effet de serre, ce qui conduit inévitablement à la destruction progressive de la couche d’ozone. Ce processus aura pour conséquence la perturbation du cycle climatique et on pourrait assister à toute sorte de catastrophes au niveau naturel », a-t-il indiqué. Cela suppose que les changements climatiques dans le monde résultent en grande partie des activités industrielles et minières de l’homme.
Des aires protégées menacées par l’exploitation minière au Bénin
Au nord-est du Bénin, dans le département de l’Alibori, un espace protégé est menacé par des exploitations minières. Il s’agit d’une forêt classée par arrêté n°6459/SE du 18 août 1955. D’une superficie d’environ 256 000 hectares, l’équivalent de 32 fois la superficie de la ville de Cotonou, cette forêt située dans la partie supérieure du département de l’Alibori abrite une biodiversité considérable et participe au maintien du cycle climatique. Cependant, elle est menacée par l’exploitation minière. En effet, à proximité de la forêt, des gisements d’or et d’étain ont été découverts. Même si l’Etain n’est pas une priorité de l’Etat, il faut dire que l’or est au centre des convoitises. Ce qui suscite beaucoup de crainte dans le rang des défenseurs de la biodiversité.
Dans le pays, d’autres espaces protégés sont tout aussi en danger. Il s’agit de la forêt classée des trois rivières où des sites aurifères ont été identifiés dans et à proximité. Située à Kalalé dans le nord-est du Bénin, cette forêt s’étend sur une superficie de 259 500 ha, l’équivalent de 23 fois la commune de Porto-Novo qui abrite la capitale politique du Bénin, joue un rôle important dans la protection de centaines d’espèces sauvages.
Le Complexe W-Arly-Pendjari (WAP), le plus important site protégé du Bénin classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, n’est pas épargné des menaces que représente la future exploitation industrielle de ressources minières au Bénin. Selon l’organisation onusienne, le WAP est le plus grand et du plus important continuum d’écosystèmes terrestres, semi-aquatiques et aquatiques de la ceinture de savanes d’Afrique de l’Ouest. Il sert de refuge à des espèces animales qui ont disparu ailleurs en Afrique de l’Ouest ou sont très menacées. Il accueille notamment la plus grande population d’éléphants d’Afrique de l’Ouest et la plupart des grands mammifères typiques de la région, comme le lamantin d’Afrique, le guépard, le lion ou le léopard.
L’UNESCO estime également sur sa plateforme que le Complexe WAP bénéficie d’une protection juridique à long terme conférée par les législations nationales et reçoit un appui financier et technique des États et de quelques partenaires pour le développement. Mais malgré cette protection juridique dont jouit cette immense aire protégée, le Bénin y a autorisé des prospections minières, ce qui a permis d’y répertorier du Phosphate et du Fer ; deux ressources minières qui figurent en bonne place dans les priorités d’exploitation industrielle du gouvernement.
L’exploitation minière, grande productrice de gaz à effet de serre
Mahamady Porgo et Orhan Gokyay de l’Université de Marmara en Turquie ont montré dans une étude publiée en 2017 sur « les impacts environnementaux causés par l’exploitation de la mine d’or d’Essakane », que l’exploitation de la mine contribue directement ou indirectement à la pollution de l’air dans le district d’Essakane. « L’utilisation de produits chimiques tels que le cyanure (extraction industrielle de l’or) et le mercure (extraction artisanale de l’or) pour extraire l’or du minerai constitue un risque potentiel pour l’écosystème, la santé de la population locale et la production animale », précise l’étude qui e a également montré qu’il y a « une dégradation importante du paysage naturel et de la topographie du sol par l’exploitation à ciel ouvert (mine industrielle) et les trous creusés par les mineurs artisanaux ».
Dans le rapport sur « la déforestation et la dégradation des forets au Burkina Faso : tendance actuelles et principaux facteurs », réalisé en 2019 par le programme d’investissement forestier (PIF), les experts ont effectué une analyse quantitative des impacts quantitatifs de l’exploitation minière sur l’évolution des forêts et des émissions de gaz à effet de serre en général et les émissions/séquestrations de carbone, en considérant la consommation de carburant et la déforestation indirecte. Au terme de leur analyse, ils sont parvenus à la conclusion qu’une mine industrielle d’or au Burkina produit mensuellement 543 tonnes d’émission de CO2 par once d’or.
Ces différentes études suscitent des interrogations sur le respect des engagements pris par les sociétés minières pour la protection de l’environnement dans les plans de gestion environnementaux et sociaux. Au Burkina Faso, l’Agence nationale des évaluations environnementales (ANEVE) est la structure chargée du contrôle et de la supervision de la mise en œuvre des plans de gestion environnementale des sociétés minières. Selon les responsables de cette structure, aucune mission de suivi de plan de gestion au sein des sociétés minières n’a été menée depuis 2018 à cause de l’insécurité. Parmi les manquements observés quant à la protection de l’environnement, l’ANEVE souligne, entre autres, l’absence d’un système de valorisation des eaux issues des stations d’épuration, la non évaluation du taux de reprise des reboisements et l’enfouissement des déchets valorisables et dangereux.
Vers un désastre environnemental et climatique au Bénin !
L’exploitation minière au Bénin est encore à une étape à la limite embryonnaire, même si quelques exploitations artisanales et semi-industrielles ont lieu dans le nord du côté du département de l’Atacora. Les dégâts occasionnés déjà par ces petites exploitations lève le voile sur ce qui attend le pays si l’exploitation industrielle s’y installe. Les exploitants artisanaux à eux seuls causent une grande dégradation de l’environnement du fait des trous creusés et aussi des produits chimiques comme le mercure dont-ils usent pour les travaux.
Selon l’office béninois de la recherche géologique et minière (OBRGM), le gouvernement du Bénin, dans sa politique d’exploitation minière, veut se focaliser sur l’or, le lithium, les pierres ornementales et les matériaux de construction. Ces gisements sont en abondance, mais certains se retrouvent très à proximité et même en plein cœur d’aires protégées. Selon Julien Houndolo, expert en développement, décentralisation et risk-management, « la loi sur la protection des aires protégées ne protègera pas ces espaces de l’exploitation des mines et minerais parce que l’Etat ne peut pas s’interdire certaines choses qui lui permettraient de générer des ressources financières pour la bonne santé de l’économie, vue que c’est lui-même qui prendra encore la loi pour l’exploitation… ».
Et pourtant, l’article 16 de la loi sur les aires protégées en République du Bénin indique que « la réserve naturelle intégrale est une aire préservée pour permettre le libre jeu des facteurs naturels sans aucune intervention extérieure, à l’exception des mesures de sauvegarde nécessaires à l’existence même de la réserve. Sur toute l’étendue des réserves naturelles intégrales, sont interdits toutes formes de chasse et de pêche, toute exploitation forestière, agricole et minière, tout pâturage et défrichement, toutes fouilles et prospections, tous sondages, terrassements et constructions, tous travaux tendant à modifier l’aspect du terrain ou de la végétation, toute activité polluante ou nuisible, toute introduction d’espèces animales ou végétales et, d’une manière générale, tout acte de nature à nuire ou à apporter des perturbations à la faune ou à la flore. Sauf autorisation spéciale délivrée par le ministre chargé de la faune, il est interdit d’effectuer toute recherche scientifique dans les réserves naturelles intégrales, ainsi que d’y pénétrer, circuler, camper, résider ou de les survoler à basse altitude ».
Pour Martial Kouderin, Président de CREDI ONG, les dispositions légales pour la sauvegarde des aires protégées sont assez faibles. « Il y a beaucoup de cadres juridiques qui ont été élaborés pour encadrer ou protéger les espaces naturels, mais pas toujours assez parce qu’il y a quelques aires, notamment les aires communautaires qui ne sont pas suffisamment protégées légalement », a-t-il indiqué. « Généralement, les exploitants ne font pas d’étude d’impact environnemental ou le bâclent… », affirme-t-il. « Ils (les exploitants – NDLR) n’arrivent pas à calculer tous les services écosystémiques (des aires protégées – NDLR) et c’est ça qui fait qu’on voit tout de suite que l’exploitation minière est plus rentable que de conserver la biodiversité ».