Cultiver du niébé contribue à garantir la sécurité alimentaire en Afrique
- La sécurité alimentaire en Afrique reste un véritable challenge qui peut être remporté grâce à la culture du niébé
- Face au défi du changement climatique, le niébé se présente comme une alternative fiable pour la population grâce à sa résilience et son adaptabilité.
- Très consommé en Afrique sous différentes formes, le niébé renferme la grande majorité des éléments nutritifs dont le corps humain a besoin.
C’est jour de marché à Cococodji dans la commune d’Abomey-Calavi, au sud du Bénin. Dans ce marché, qui compte parmi les plus grands du pays, les étalages des vendeuses sont remplis de divers produits. En parcourant les allées, impossible de passer sans remarquer les bassines disposées sur les étals. Dans ces récipients, différentes sortes de céréales, dont plusieurs variétés de niébé (Vigna unguiculata).
Dans ce marché, comme dans la plupart des marchés du pays, le niébé est un des produits qui ne manquent jamais à la vente, car les consommateurs en demandent toujours, quels que soient la période et le prix.
Cette légumineuse est d’une grande importance dans l’alimentation à travers le monde, principalement en Afrique. Selon des organismes de recherche tel que l’Institut de recherche pour le développement (IRD), cette culture est la plus importante légumineuse à graines en Afrique subsaharienne, ce qui en fait un produit de premier plan, avec 95 % de la production totale. Dans la région, le niébé représente 42 % de la consommation totale de légumineuses. A travers des recherches et les travaux des chercheurs, la légumineuse se positionne comme un aliment incontournable dans la garantie de la sécurité alimentaire sur le continent africain.
Selon les estimations, le niébé offre aussi un large éventail de possibilités gastronomiques, pour la plupart méconnues du grand public, chaque offre culinaire dépendant des cultures et traditions de chaque partie de l’Afrique et du monde. Avec cet avantage, cet aliment se positionne comme une alternative à d’autres produits comme le riz, le blé et la viande à la lumière des impératifs de sécurité alimentaire et de la conjoncture constatée dans la plupart des pays africains ces dernières années. Selon l’IRD, plus de 50 plats peuvent être réalisés avec ce dernier, incluant les entrées, les plats de résistance, les desserts et même le pain.
« J’ai toujours préparé mes beignets avec le haricot (nom populaire du niébé) », explique Rosine Sokègbé, vendeuse de beignets communément appelés « atta » en langue Fon. Selon elle, « le haricot blanc est bien meilleur pour la qualité de mes beignets et les clients en raffolent toute la journée ». Sokègbé explique que ses clients accompagnent les beignets avec de l’igname ou de patate douce frits ou des boules d’akassa, une purée à base de maïs.
De son côté, Moussi Abdoulaye, vendeuse de « Toubani », un met à base de niébé très consommé au nord du Bénin, au quartier Vodjè, à Cotonou, explique qu’elle vend également des beignets pendant les périodes de jeûne musulman, avec du haricot rouge et « c’est très nutritif ».
Qualité nutritionnelle du niébé
Source de protéines, le niébé occupe une bonne place dans les politiques de diversification agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette richesse pousse alors les pays africains à s’y intéresser de plus près et à apporter un accompagnement pour cette plante locale longtemps délaissée, malgré ses nombreuses vertus et en particulier ses qualités nutritionnelles. Le niébé est riche en protéines, ce qui en fait un aliment essentiel, notamment dans les régimes où les sources animales sont limitées. Il offre des nutriments différents de ceux des céréales de base, contribuant à une alimentation plus équilibrée pour les populations.
Mieux, certains consommateurs estiment qu’il leur apporte tous les nutriments dont leur corps a besoin. « Dès que je mange du haricot à midi, c’est partie pour tout le reste de la journée et je ne fais que boire de l’eau. C’est un produit qui a beaucoup de vitamines et surtout pour les enfants, ils grandissent très bien sans carence aucune en termes d’éléments nutritifs dans leur alimentation », a expliqué Faria Zountounnou, consommatrice rencontrée devant un étal au marché de Cococodji. « Je le prépare bouillit et on consomme en l’accompagnant de gari (farine à base de manioc) ou parfois, je fais du « djongoli » (mélange du haricot avec de la farine de maïs, très connu au sud du Bénin).
Un peu plus loin dans le même marché, debout, visage souriant et assez décontracté, Carine Gnimansou, une jeune femme dans la trentaine, discute du prix du soja avec la vendeuse. Elle finit par acheter le produit à un prix qui semble lui convenir. Interrogée sur ce qu’elle compte en faire, elle explique qu’elle est vendeuse de fromage à base de soja. « Je vais en faire du ‘’Amon soja’’ pour mes clients. Je vends à manger et les clients mangent ça. Ils disent que c’est très riche et même que le seul soja comporte tous les éléments nutritifs dont l’Homme a besoin pour se porter mieux », a indiqué Gnimansou.
Selon les chercheurs de l’IRD, le niébé contient une grande quantité d’amidon, entre 50 % et 67 %, et présente de fortes teneurs en fibres alimentaires et en vitamines de type B (acide pantothénique ou acide folique). La graine est également riche en microéléments essentiels, tels que le fer, le calcium et le zinc et possède une faible teneur en matière grasse, ce qui en fait une ressource très intéressante d’un point de vue nutritionnel.
Youna Hemery, chercheure à l’IRD au Bénin, explique que « cette légumineuse contribue à la couverture des besoins en protéine, mais c’est également très riche en d’autres nutriments et micronutriments, par exemple, en fibres, en minéraux comme le magnésium, en vitamines comme la vitamine B9. Ces vitamines et minéraux sont vraiment importants pour le bon fonctionnement de l’organisme, et donc, les légumineuses et le niébé en particulier, vont permettre de couvrir les besoins en protéines et micronutriments des populations ». « En particulier au Bénin, le niébé est la légumineuse la plus consommée. Elle est consommée fréquemment, que ce soit au sud comme au nord, et en quantité assez importante. Ce qui fait qu’on a pu calculer que la consommation normale habituelle en niébé par les Béninois, permet de couvrir 26 % de leurs besoins journaliers en protéines, 42 % des besoins en fibres, 37 % des besoins en magnésium et 30 % des besoins en vitamines B9 », ajoute Hemery, qui a organisé une foire à l’occasion de la 7ème conférence mondiale de recherche sur le niébé (WCRC, sigle en anglais), à Cotonou, en septembre 2024.
Mouhamadou Moussa Dianga, sélectionneur et généticien du niébé à l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) explique qu’« en dépit d’une teneur en protéines importante, les besoins en azote minéral pour la culture du niébé sont peu élevés. Ce paradoxe peut s’expliquer par une particularité commune à une grande partie des légumineuses, qui sont capables de fixer le diazote atmosphérique présent en abondance dans l’air grâce à une interaction symbiotique avec des bactéries du sol, appelées rhizobiums ». « Cette symbiose fixatrice d’azote procure aux légumineuses un avantage net dans des sols pauvres et représente un levier d’amélioration de la productivité des cultures associées complémentaires telles que le mil, le sorgho ou le maïs, et participe à la durabilité des agroécosystèmes », a précisé Dianga.
Importance socio-économique
Cultivé à petite échelle, le niébé constitue également une source de revenus pour de nombreuses familles rurales, renforçant ainsi leur résilience économique. D’après des recherches de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), en diversifiant les cultures, les agriculteurs peuvent mieux répondre aux demandes du marché et sécuriser leurs revenus face aux aléas économiques, réduisant ainsi leur vulnérabilité aux fluctuations de prix des autres cultures. Il existe une demande croissante pour le niébé sur les marchés locaux et internationaux, ce qui permet aux producteurs, à plus grande échelle, de vendre leur production et d’améliorer leur situation économique.
Les agriculteurs qui produisent le niébé au Bénin expliquent que « cette année, les récoltes ne sont pas vraiment bonnes jusque-là ». Albérique Ountépko est agriculteur à Pahou, dans le département de l’Atlantique au sud du Bénin. Il a commencé à produire du niébé depuis environ quatre ans, a-t-il confié à Mongabay, lors d’une rencontre fortuite avec des consommateurs de niébé au marché Cococodji, où il faisait ses achats. Selon lui, c’est un produit qui ne manque pas de lui apporter l’essentiel des revenus qu’il gagne dans l’agriculture. « Je suis un petit producteur. Avant, je faisais du maïs uniquement. Mais, depuis quelques années, j’ai commencé à faire du haricot entre les plants de maïs. Je peux dire que cela a changé complètement ma poche. Avec le haricot seul, j’arrive déjà à faire des bénéfices sans compter le maïs. Cela m’a permis de commencer par épargner ».
Il veut désormais réunir suffisamment d’argent pour acquérir un autre domaine pour ne produire que du niébé. Cependant, il a expliqué que les récoltes pourraient être encore mieux s’il n’y avait pas de pertes liées aux insectes et autres parasites qui attaquent les plantes. « Pour le moment, je n’ai pas encore les moyens pour me procurer de produits contre les parasites », dit Ountépko.
Selon Djamila Manan Baikoro, doctorante en phytopathologie à l’université Norbert Zongo (Burkina Faso), il est important de mener des recherches sur les variétés de niébé et sur ce qui contribue à la perte de la production chez les agriculteurs, afin de favoriser une plus grande productivité. Elle explique que la production du niébé en Afrique reste fortement handicapée par la pourriture charbonneuse causée par Macrophomina phaseolina, un champignon, qui attaque les plants et qui cause plus de 80 % de taux de mortalité sur le niébé. « Avant, ce pathogène n’était pas beaucoup considéré, mais, de plus en plus, il cause de nombreux dégâts sur le niébé. Donc, en luttant contre ce pathogène, en trouvant les moyens pour limiter ses effets, nous arriverons à contribuer à l’augmentation de la production du niébé et ainsi, contribuer à la sécurité alimentaire en Afrique », a dit Baikoro à Mongabay, lors des travaux de WCRC 2024.
Selon Lalaine Ranaivoson, agronome au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), « la légumineuse, par sa richesse en nutriments, est une plante qui attire beaucoup les agresseurs, c’est une plante très attaquée ».
« Le niébé souffre du problème d’irrégularité et de la distribution erratique des pluies qui constituent aujourd’hui un véritable obstacle à sa production à travers aussi la multitude d’insectes ravageurs occasionnés par les variations climatiques », renchérit Louis Imorou, chercheur à l’université de Parakou (Bénin).
Quoi qu’il en soit, la culture et la transformation du niébé génèrent des emplois dans les zones rurales, notamment dans la collecte, le traitement et la distribution. De plus, les agriculteurs peuvent avoir un meilleur accès à des crédits et des programmes de soutien, car leur activité est perçue comme moins risquée par les banques et les bailleurs de fonds publics et/ou privés.
La commercialisation du niébé et des produits dérivés est également très importante comme source de revenus. Vendeuse au marché de Cococodji, Pascaline Noudomessi tire son revenu du niébé. « Je ne vends que ça », souligne-t-elle lorsqu’on lui demande si elle arrive à s’en sortir. « Si ça ne marchait pas, je serais allée vers d’autres horizons. J’ai presque toutes les variétés de niébé sur mon étalage et, même si cette année, le prix a fortement grimpé, pratiquement le double, les gens viennent toujours acheter. Ils se plaignent un peu, mais achètent. Cela me permet de survenir à mes besoins et à ceux de ma famille ; je ne me plains pas en tout cas », a dit Noudomessi. De son côté, Moussi Abdoulaye, assure que son petit commerce, lui assure l’essentiel pour bien vivre et s’occuper de sa famille.
Bien que le niébé soit une culture prometteuse pour la sécurité alimentaire en Afrique grâce à sa résilience climatique, des défis subsistent, notamment les impacts du changement climatique, les maladies et les limitations des pratiques agricoles.